LA BATAILLE DE LAGARDE 5/5
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Par Maurice MISTRE
Récit reconstitué
LA BATAILLE DE LAGARDE 5eme partie
LES CONSEQUENCES
De l'église à la sortie ouest du village, et particulièrement autour de l'église et au carrefour des routes Xures-Ommeray, la rue est jonchée de cadavres de chevaux, de soldats français et allemands. Les caniveaux ruissellent de sang.
Pendant les combats les habitants se sont réfugiés dans les caves attendant l'issue. Les soldats allemands n'hésitent pas à tirer dans les soupiraux des maisons lorsqu'il entendent parler en français. Si aucun mort civil n'est à déplorer, il y aurait même eut une naissance, ils ont beaucoup souffert cette journée, apeurés par la canonnade, la fusillade et les charges. Deux Lagardois Auguste Leclère 21) et Joseph Meaux ont même été fusillés (le 11), à 3h de l'après midi au Moulin. Si bien lorsque les Français repassent à Lagarde, les 16-17 août :
"L'accueil n'est pas enthousiaste, les femmes qui s'étaient réfugiées dans leurs caves depuis trois jours, restent méfiantes, ayant assisté à la victoire des Allemands puis des Français. La peur se lit sur leur visage".
"Les habitants obéissent mais sans empressement, au contraire beaucoup de réserve". 22)
Une odeur de sang et de chair décomposée monte du sol. Sur la route gisent encore des cadavres de chevaux côte à côte : un spectacle épouvantable.
Des habits, des sacs, des armes, des bidons, des équipements aussi bien français qu'allemands traînent par terre. Quelques témoignages de combattants français :
"Le 16 août nous avons passé la frontière. A Lagarde, nous saluons les tombes des nôtres... Il fait une chaleur accablante, l'air est empuanti par des charognes de chevaux auxquelles on a mis le feu et qui brûlent encore et aussi par d'autres choses enterrées sous une mince couche de terre." 23)
"Nous trouvons des armes, des effets abandonnés, une batterie d'artillerie presque détruite, dont par mesure d'hygiène on a brûlé les chevaux morts. Qui ? Dans un champ de betteraves, je découvre la première tombe sur laquelle on a mis bien en évidence les écussons (19e artillerie) drôle d'impression ! Par la suite on découvre d'autres tombes (Français et Allemands).
Dans Lagarde même, amas d'effets, armes selles, caissons d'artillerie démolis, cadavres dans le canal, même des blessés français que les Allemands partis la veille n'ont pu amener." 24)
"C'est en ce point qu'il voit la première fois les traces douloureuses des combats précédents, les premiers cadavres; les premières ruines, les premières tombes". 25)
"Le 17 nous traversons le champ de bataille situé entre Xures, village français et Lagarde, village allemand... cependant la tristesse est apparente sur le visage de tout le monde car tout autour de nous on voit une multitude de tombes ou plutôt des petits monticules de terre remués à la hâte avec une petite croix de bois sur laquelle est écrit un ou plusieurs noms de français ou d'allemands, nous sommes en plein champ de bataille et on peut en juger par la quantité d'objets gisants de toute part, chemises déchirées, cartouchières, chaussures, képis, etc... et même cadavres non encore enterrés, le spectacle est plutôt impressionnant, personne ne dit mot, les coeurs sont serrés. C'est là notre première vision triste."26)
"A 8h nous arrivons à Lagarde. Là, sur le bord de la route, il y avait des fusils, des équipements, des sacs, des effets par parquets... Où il y en avait le plus, c'était à la mairie, d'un côté de la porte d'entrée on voyait les effets des Boches et de l'autre des Français. On nous loge dans une grange. C'était la maison du docteur, elle était complètement pillée, les meubles, les matelas, tout avait été éventré, le linge éparpillé sur le parquet avec d'autres objets, les glaces brisées dans le bureau, la bibliothèque était renversée, tous les livres déchirés, dans le salon, il ne restait que le piano, encore il lui manquait toutes les cordes.
En face se trouvait la maison du curé qui n'avait pas été épargnée non plus, de plus un obus l'avait ébréchée bien entendu les caves étaient vidées".27)
En Allemagne cette bataille a un retentissement énorme. De nombreuses gravures et cartes postales relateront cet épisode, illustrant la férocité de l'assaut final.
Allant même elle aussi jusqu'à travestir la vérité :
"Journée du 11, le gouvernement communique :
Dans cette même région, entre Château-Salins et Avricourt, le village de Lagarde, situé en territoire annexé, a été enlevé à la baïonnette avec un élan admirable ; les Allemands ne résistent décidemment pas à l'arme blanche".
La presse française méridionale relaie cette vision :
"Ils mentent ! nos confrères italiens ne se sont pas laissé prendre à ce grossissement intéressé. Au communiqué allemand, tenu pour suspect, ils ont eu soin d'opposer le communiqué français, combien plus sincère. Ils ont été bien inspirés. A Lagarde, il a pu y avoir un engagement, mais il n'y a pas eu de bataille. Ce qui est certain, c'est que le 15e corps n'a pas pu y prendre part, pour la bonne raison qu'il n'est pas là. Ce sont en effet les troupes en couverture du 20e corps qui occupent toute la région entre Lunéville et la frontière". 28)
Pourtant, L'Illustration, dans son numéro du 15 août 1914, n° 3729, note :
"Jeudi 13 août - "Par contre un échec : deux bataillons français qui s'étaient emparés du village de La Garde en sont chassés par une contre attaque et se retirent à Xures".
Dans celui du 22 août, n° 3730, cet alinéa a disparu ! Anastasie était passée par là. La vérité est toujours la première victime de la guerre. En France, on ne saura rien de Lagarde !
Le triste bilan de cette bataille ignorée, peut-être tue, est effroyable 29).
Nos recherches actuelles nous ont permis de retrouver 528 tués 30) , dont :
292 au 58e RI, soit 55,20% de l'ensemble + 126 prisonniers 33)
169 au 40e RI, soit 31,95% + 630 prisonniers 33)
67 au 19e RAC soit 12,67%
Par département, les plus touchés sont:
- Vaucluse 70 tués soit 13,23%
- Gard 74 tués soit 13,99%
Le nombre de tués allemands est 217, dont 63 au 131eRI
21 au 138eRI
30 au 2e Chasseurs
54 au 1er Uhlans
49 au 2e Uhlans
Les Allemands eux-mêmes, décomptant les pertes iront jusqu'à affirmer :
"Une estimation des pertes basée sur les nombres portés sur les tombes fait ressortir que sur les champs de bataille de Lorraine, les pertes françaises sont au moins doubles des pertes allemandes... tout autre est la proportion des morts allemands et français sur le champ de bataille de Lagarde". 31)
Ce combat a eu des conséquences très importantes aussi bien en Allemagne qu'en France sur le moral des combattants. D'un côté une énorme confiance dans la valeur des troupes allemandes avec cette victoire emblématique. De l'autre une monstrueuse défiance envers les soldats provençaux.
24 août : au lendemain de Dieuze "Les troupes de l'aimable Provence ont été prises d'un subit affolement. L'aveu public de leur impardonnable faiblesse s'ajoutera à la rigueur des châtiments militaires. 32) Le sénateur Gervais lance la polémique contre le 15e corps si injustement diffamé.
SOURCES:
Différents JMO
Journal de Martha BERGERFURTH, fille du propriétaire de Martincourt
Le 2e bataillon du 40eRI au combat de Lagarde. Colonel SIMONET
Mémoires. Lieutenant FICONNETTI, de la 3e batterie du 19e RA
Histoire d'un soldat de 1914. Camille MOREL
Documents locaux(du curé et de l'instituteur-secrétaire) Mairie de Lagarde
Travaux Claude CHANTELOUBE, Jacques DIDIER
Maurice MISTRE-RIMBAUD
Des républicains diffamés pour l'exemple 2004
La légende noire du 15e corps 2008
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21) Maire de Lagarde d'après Joseph
22) Paul Fontanille, Sergent-Major au 6e BCA
23) Kerraoul, Lieutenant au 38e RA
24) Paul Fontanille, Sergent-Major au 6e BCA
25) Historique du 23e BCA
26) Un adjudant du 3e RAL
27) Laurent Gassin, soldat du 3e RI
28) Le Petit Niçois 13 août 1914
29) soit disant 42 officiers et 2023 hommes
30) Anomalie intrigante, le département qui a le plus donné : 94 tués
(soit 17,77%) est l'Hérault, département hors XVe région, étonnant !
31) Kriegs-echo 31 mars 1915
32) Auguste Gervais, journaliste-sénateur au journal parisien LE MATIN
33) prisonniers, chiffres de la Croix Rouge
Les Allemands dans un communiqué officiel du 11 août claironnent :
"Une brigade avancée, de toutes armes du XVe Corps d'armée français a été attaquée par nos troupes de sécurité, à Lagarde en Lorraine. L'ennemi, essuyant de lourdes pertes, a été refoulé dans la forêt de Parroy et a laissé entre nos mains un drapeau, deux batteries, quatre mitrailleuses et 700 prisonniers. Un général français a été tué"
Le 12 août, ce communiqué est complété par un autre, plus bref, mais aussi dur :
"A Lagarde, plus de 1000 prisonniers de guerre non blessés sont tombés aux mains des troupes allemandes : cela correspond à 1/6ème des deux régiments français qui combattaient".
La réaction française ne se fait pas attendre, démentant :
"Le Wolf Bureau annonce diverses nouvelles intéressantes à relever, pour la forme, car personne ne croit plus aux informations lancées par cette agence allemande.
A en croire le Bureau si bien nommé, une brigade du XVe Corps aurait essuyé une défaite près de La Garde en Lorraine, et se serait repliée dans la forêt de Parroy, au nord-est de Lunéville. Voyez-vous qu'on ait pris une brigade du XVe Corps pour la mettre juste devant la formidable couverture formée en avant de Nancy et de Lunéville par le XXe Corps et, en particulier, par la Division de fer ?
Le XVe Corps n'est pas en avant de Lunéville ; il ne peut ni ne doit y être : le Wolf Bureau, en inventant ses dépêches, ne devrait pas faire ainsi litière de la plus simple vraisemblance".