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Par Maurice MISTRE
Récit reconstitué
LA BATAILLE DE LAGARDE 4eme partie
LE 11 AOUT (suite)
10h, au sud, le 138e RI allemand débouche du bois de la Garenne et progresse lentement dans les cultures. La section des mitrailleuses, la 6e compagnie et la 4e section Michel de la 8e ont réussi à le fixer à 600 m. Le 138e RI pénètre par l'entrée est de Lagarde, une autre partie passe par la Tuilerie en direction du 2e BCP. Une canonnade s'abat sur la route Vaucourt-Xousse.
A peine avions nous un peu avancé, que nous reçûmes déjà un feu d'infanterie de la part de l'ennemi... Un ordre fut lancé : "En position - Commencez par avancer en sections"... Des bonds - feu - des bonds - maintenant l'ennemi fléchit. De notre côté, le tir des mitrailleuses avait déjà commencé depuis longtemps. Bientôt, notre propre artillerie se mit de la partie, alors que celle de l'ennemi s'était déjà manifestée auparavant. Notre propre tir d'artillerie, violent et efficace, soutenait le déplacement et les bonds furent exécutés lorsque les mitrailleuses tiraient.
En avançant plus loin, nous dépassâmes la position abandonnée par l'ennemi près de la route conduisant au village. Comme nous attaquions parallèlement au canal de la Marne au Rhin, nous dûmes rester allongés un petit moment jusqu'à ce que l'entrée du village, prise d'assaut par le 138e RI et le 2 b.Jager. Btl, soit entre nos mains. Maintenant, nous arrivons dans le village défendu avec acharnement par l'ennemi. Depuis les caves, les fenêtres et les lucarnes des toits, des tirs de mitrailleuses et de fusils s'abattaient sur nous. Mais la vive résistance de l'ennemi fut brisée par notre avance impétueuse. Crosses, baïonnettes et interventions sans ménagement de nos troupes amenèrent l'ennemi à fuir précipitamment, poursuivi par notre cavalerie...
Ma compagnie se regroupa aussitôt près du canal pour marcher vers l'entrée du village, là même où eut lieu le premier rassemblement après la bataille. Les groupes prenaient leur place comme toujours, et les vides nous rappelaient la chanson relative au camarade. 9)
Le 2e bataillon de chasseurs bavarois en profite à l'est et au nord-est, pour dévaler des pentes sur le ruisseau de Chanteraine où à l'abri de vues, il se masse et se prépare par un feu des plus nourris, à l'assaut.
"Maintenant, les chasseurs pénétraient à la lisière du village ; les 2e et 3e compagnies s'étaient déjà glissées dans la ligne avancée. Celle-ci était vide, mais dans la localité même, cela grouillait encore de "nids de Français". Ici, on voyait sortir des fusils, crosses en avant, de portes à moitié ouvertes et de là aussi sortaient les pantalons rouges. Des méridionaux avec des gestes animés, hurlant, riant, pleurant, criant: " Pardon, pardon, ami, ami !" D'autres, contre lesquels se tournait la fureur des chasseurs, se défendaient. Jusqu'à présent, il n'y avait que des chasseurs dans la localité ; maintenant arrivaient également des fantassins (131e RI). Il fallait prendre les maisons l'une après l'autre. Sur la place de l'église, il y avait une fontaine vers laquelle beaucoup couraient et se rassemblaient ; le feu ennemi ne les dérangeait pas, une soif brûlante leur faisait dédaigner le danger; Il était difficile de faire avancer les hommes pour occuper l'autre lisière du village, on devait commander, expliquer, vitupérer, finalement ça marchait. Les Français avaient disparu ; ceux qui étaient encore au village étaient prisonniers." 10)
Ce secteur est confié au capitaine Salicetti qui vient s'installer au carrefour de la route de Bourdonnay ; les 1ère et 3e sections de la 5e repoussent l'attaque ; mais la situation des sections est pénible ; les pertes sont sévères, les cartouches deviennent de plus en plus rares. Les 2e (Lt Sauzon) et 4e section (Lt Davet) de la 5e compagnie coopèrent à la défense du secteur nord.
A 10h45, à l'ouest du village, le 19e RA est anéanti et quelques minutes après, le 3e bataillon du 58e RI décimé, reçoit l'ordre de se replier. La 9e compagnie débordée ne peut exécuter le repli et se trouve anéantie avant d'avoir pu atteindre le cimetière, les survivants sont faits prisonniers.
La position de la 11e n'est plus tenable, l'ennemi est toujours invisible et tous ses efforts se portent sur la droite. Quelques hommes se lèvent, ils pivotent aussitôt sur eux-mêmes et s'abattent. Il ne faut pas songer à rester dans le cimetière. Son mur d'enceinte est en grande partie détruit ; toutes les compagnies battent en retraite dans un désarroi général.
Des cris qui n'ont plus rien d'humain se font entendre de tous côtés. Le sol est jonché de morts et de blessés, les explosions succèdent aux explosions, les cris d'effroi aux cris d'effroi.
A 11h10 environ, l'ordre de retraite parvient au 40e RI ; il est transmis aux fractions de la 5e (Lt Sauzon, Lt Davet et adjudant Viola) en position à la lisière nord ; ces derniers se rallient à leur capitaine à la mairie.
La rue est balayée par une grêle de balles et d'obus ; les hommes tombent, nombreux, d'autres se dispersent, s'abritent. On rameute des isolés éperdus. Ils se glissent le long des maisons, dans la grand' rue, vers l'église et la sortie ouest ; ainsi, entre l'église et la mairie, la 5e compagnie est partiellement réunie. Soudain de la sortie ouest débouche en trombe une charge de cavaliers par deux. La 5e compagnie les accueille par un feu à bout portant. La charge est enrayée mais une deuxième suit, arrêtée net : les cavaliers tourbillonnent dans un carnage d'hommes et de chevaux !
11)
"Soudain, à l'entrée de Lagarde, mon cheval s'effondre sous moi avec un coup dans le poitrail. Je ne l'ai plus revu non plus. Mes sacoches, ma selle, ma bouteille Thermos, mes objets de toilette, ma cape, du linge que j'avais sur moi, tout au diable. Je n'ai plus que mon sabre nu et mon revolver ! Avec deux de mes valeureux cavaliers, je m'abrite vite dans une tranchée au-dessus de laquelle sifflent de nombreuses balles. Ensuite, il y a une accalmie. A une certaine distance, je vois mon régiment se rassembler. Puis, à ma grande satisfaction, j'aperçois tout près de moi, ma propre infanterie. Avec mes cavaliers qui étaient passés au nombre de huit environ, je me plaçais aussitôt sous les ordres du capitaine et je participais au reste du combat avec cette compagnie, armé d'un revolver et d'une carabine... 12)
Devant la poussée de l'ennemi au nord-est et au sud, le 40e RI recule vers le centre du village, se retranche dans des maisons et tente de se replier vers la sortie ouest. C'est un combat de rue atroce ! Les Uhlans foncent, les fantassins s'affrontent au corps à corps, baïonnette au canon. Les Français tentent de fuir vers Xures.
Il est impossible de résister. Seul un repli sur la frontière peut sauver les rescapés qui utilisent le fossé qui borde la route.
Quelques chevaux dont les cavaliers ont été désarçonnés s'enfuient dans une course vertigineuse, la crinière hérissée.
Des hommes passent, accrochés à un caisson de munitions, probablement vide, qu'emportent à vive allure, deux chevaux enivrés par le bruit et l'odeur de la poudre.
Le crépitement des mitrailleuses est plus rapproché. Le pont sur le canal est naturellement repéré par les mitrailleurs et les artilleurs ennemis dont la préoccupation dominante est de couper toute retraite. Plusieurs cadavres passent aux trois quarts immergés dans le canal.
"Tu aurais dû voir comme les pantalons rouges détalaient dans le désordre le plus complet. Ce fut encore notre cavalerie qui prit les rênes et se chargea de la poursuite." 13)
Pressées de front et de flanc, entourées de tous côté par des forces supérieures, acculées au canal, les munitions épuisées elles sont décimées et leurs débris faits prisonniers. Ceux-ci sont débarrassés de leurs pantalons rouges et de leurs chemises.
"Ils venaient tous vers nous les mains en l'air. Finalement les pauvres gars, qui en partie étaient blessés et gisaient autour de nous, faisaient pitié"
Quant aux blessés :
"Spectacle pénible.. Il y a des blessés partout et des deux partis. On les porte dans les granges, on les y couche. L'évacuation se fait lentement jusqu'à 2h de la nuit et de nouveaux blessés arrivent sans cesse." 14)
A 11h30, Parroy : Lescot commandant la 2e DC demande des renforts à Colle commandant le 30e corps, il était temps !!! A ce moment, le combat est à peu près terminé. C'est la fin sinon glorieuse du moins honorable du 2e bataillon du 40e RI d'Alès dont une partie est faite prisonnière. Les pertes de part et d'autres sont énormes.
Le capitaine Rourissol de la 9e compagnie du 58e RI déclarera quelques jours plus tard : "sur 1000 hommes, ils sont revenus 109 et 2 officiers." 15)
Du côté de Vaucourt, la 5e compagnie du 2e BCP est surprise à midi par les Allemands poussant leur attaque et débouchant du bois du Tillot. Les "vitriers" 16) de la 10e DC qui ont 37 tués, se rapatrient sur Parroy.
Ainsi finit, entre 13h et 14h, le combat de Lagarde qui a duré sept heures, sous une chaleur accablante. Le village est aux mains des Allemands.
Les blessés sont faits prisonniers et prennent la direction de Bourdonnay. A 2h de l'après-midi, les débris de l'infanterie se replient sur la route longeant le canal. Les rescapés sont harassés de fatigue. C'est la débandade.
"La route est couverte de soldats débandés et de voitures d'infirmerie qui fuient. J'en arrête plusieurs, revolver au poing et tâche de remettre un peu d'ordre. En particulier, une voiture de munitions dont les chevaux lancés au galop sont tenaillés à tour de bras par un fantassin fou de peur... Ils s'arrêtent au moment où je presse la détente de mon revolver." 17)
Ces visions vont avoir de fâcheux prolongements. Le lieutenant d'Etat-Major Antoinat accuse les éléments du 15e corps, en affirmant :
"...que le [58e] régiment n'a pas fait ce qu'il devait faire, qu'il a manqué au devoir militaire en ne tenant pas sur ses positions. Que le temps des discours d'Avignon est terminé et que la seule façon de laver la faute était de se sacrifier ici, que les Provençaux avaient prouvé ce qu'ils étaient." 18)
"Dans la vallée, les 17e et 18e chasseurs à cheval de Lunéville, passent près de nous en disant :"Hardis les gars ! Faites voir aux régiments du Midi ce que peuvent faire les mecs de l'est. Il paraît que les méridionaux se sont fait mettre la pile, mais nous n'en savons rien". 19)
"Qu'est ce que vous avez donc fait ? Le 58e a une sale réputation, il paraît que vous avez tous foutu le camp à la vitesse V?" 20)
Réflexions lourdes de conséquences qui auront des répercussions plus tard.
à suivre ...
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9) Schmidt soldat du 138e RI
10) Lettenmayeur commandant les chasseurs bavarois
11) travail de photographie de Claude Mollereau
12) un cavalier allemand
13) un combattant allemand
14) Walter, médecin allemand
15) Maurice Martin-Laval, infirmier au 58e RI
16) surnom donné aux chasseurs à cause de leur paquetage les faisant ressembler à des vitriers
17) Calliès, capitaine du 19e RA
18) Rapport du colonel Jaguin du 58e RI, dénonçant ce propos au colonel Marillier de la 59e brigade, 15 août 1914
19) Duperis soldat du 26e RI
20) Maurice Martin-Laval, infirmier au 58e RI