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Sur les traces des "Midis" du XVe Corps - guerre 1914-1918
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28 août 2014

Edouard BARUTHEL, 40e RI-3/4 notes de campagne

 

Ce récit appartient aux descendants d'Edouard Baruthel et ne peut être utlisé sans leur autorisation

Baruthel_servicemilitaire___Copie

suite-3

" ... C'est tout en étant allongé, fumant une cigarette et ne souffrant pas trop de ma blessure que je pensais à cela et j'étais content même que je riais seul à la pensée d'en avoir beaucoup tué de ces prussiens. Ce que je dis là semble peut être pas vrai mais c'est la pure vérité. Oui l'homme doit être ainsi fait dans des moments critiques ; il ne doit pas avoir peur de la mort et doit avoir un coeur de pierre.

Car aussi je pensais aux Aigues Mortais qu'il y avait dans la 9ème Cie s'ils étaient toujours en vie ainsi qu'aux autres qui se trouvaient dans le bataillon comme André Armand Jolivet Oulier. Puis ensuite  je pensais à mon frère, ce qu'il pouvait être devenu, lui qui était guère courageux, peut être qu'il avait succombé dans ce combat. Je pensais à tout cela sans ressentir la moindre peine ; je pensais que mon frère pouvait être tué sans que cela me fasse la moindre des choses et pourtant un jour que je l'avais rencontré sur la route couché, malade de la chaleur, cela m'avait fait beaucoup de peine et maintenant que je pensais qu'il pouvait être mort, je ne ressentais plus rien du tout.

Lorsque dans notre fuite, nous traversions le champ de bataille, il fallait enjamber les morts parfois on posait le pied sur un bras ou un pied qui avaient été séparé du corps et jeté au loin mais cela ne me rendait pas du tout ému de voir tant de morts et de sang ; il y a 6 mois en avant d'aujourd'hui, j'en aurai frémi en entendant parler seulement. Qu'aujourd'hui de le voir je ne sais pas si les autres étaient comme moi mais je trouvais cela comme si c'était naturel.  C'est-à-dire : si dans des moments comme cela le caractère d'un homme doit changer. J'aurai sans doute continué à penser encore longtemps si le soleil disparaissant à l'horizon ne m'avait arraché à mes pensées. La nuit allait bientôt arriver et alors étant toujours résolu à en finir je n'avais pas longtemps à vivre, j'envisageais ma situation avec beaucoup de sang-froid. Je paraitrais peut -être lâche d'avoir peur de passer la nuit comme j'étais et que je voulais me tuer, non ce n'était pas la peur de souffrir pendant une nuit si j'avais su survivre le lendemain matin. Mais la blessure que j'avais, je savais que je ne tarderais pas à succomber si on ne me soignait pas bientôt. Donc si je voulais tant en finir avec la vie, ce n'était pas la peur de souffrir c'était pour abréger mon agonie. 

Blesse_champbatalle

J'en étais à me faire ce raisonnement quand tout à coup j'entends du bruit et regardant ce que c'était, j'aperçois 3 prussiens bayonnette au canon qui, eux aussi m'ayant vu, accourraient bayonnette en avant, en poussant des ia ia leur cri de guerre et ils ne venaient pas dans de bonnes intentions.  Voyant cela je voulus saisir mon fusil pour me tuer avant qu'ils fussent sur moi. Car on m'avait tant dis que les Prussiens étaient barbares que lorsqu'ils voyaient un blessé ils leur faisaient des misères tout en les achevant que je comptais qu'ils allaient m'en faire autant  à moi, surtout que je n'avais pas le fusil dans les mains qu'ils étaient sur moi.

Mais à ma grande surprise au lieu de me faire du mal comme je le croyais, pendant que les uns fouillaient pour voir si j'avais aucune arme dans les poches ou de munitions, l'autre me mouillait le front avec de l'eau de son bidon et me faisait boire. Enfin après m'avoir enlevé mon équipement et mon fusil, ils me donnèrent à comprendre qu'ils allaient chercher un brancard pour me transporter. Et pendant que  deux allaient chercher le brancard, l'autre restait près de moi et celui-là parlait et comprenait un peu le franças. Alors quand tout en causant avec celui qui me gardait, je lui dis qu'au premier abord je croyais qu'ils voulaient me tuer. Pas plutôt avoir dit cela, voilà ce brave soldat qui jette son fusil derrière lui, et se mettant à genoux et me serrant la main dans ses deux mains me fit comprendre que non, qu'ils n'avaient jamais eu cette idée.

J'avoue franchement que ce bon mouvement de ce soldat me fit beaucoup plaisir et j'en fus fort ému. Enfin aussi je lui offris 3 paquets de tabac que j'avais dans mon sac. Je lui donnais tout ce que j'avais dans les poches, mon porte-monnaie avec, mais il se récria et ne voulut rien prendre. Enfin les deux autres arrivèrent avec le brancard et deux infirmiers qui me firent boire du sirop mélangé dans l'eau. Je leur fis la même offre mais tous refusèrent me remirent tout dans la  poche et les trois paquets de tabac dans ma musette qu'ils me mirent autour du cou. Et ensuite après m'avoir mis sur le brancard me transportèrent à l'ambulance allemande où dès arrivée, le Médecin Major allemand m'examina la blessure, me pansa la jambe et me l'immobilisa dans une goutière. Je lui demandais si on me ferait l'amputation et il me répondit que peut-être non. 

Enfin après avoir été pansé on me coucha par terre à côté d'autres blessés français et prussiens. Et me sentant mieux je demandais à manger car j'avais faim. Cela faisait le troisième jour que je n'avais rien mangé que quelques prunes et carottes ramassées dans les jardins. Mais malheureusement qu'eux aussi de leur côté n'avaient rien à manger et tout ce qu'ils purent me donner ce fut une boite de singe qu'un soldat avait et me l'a mis à côté de moi avec un petit morceau de pain.

Si j'avais pu me tourner j'aurais bien essayé de manger malheureusement j'étais tellement faible que je ne pouvais faire aucun mouvement. Et puis ma jambe me gênait beaucoup. Alors pour ce soir-là je ne mangeais encore pas...  Pendant ce temps-là la nuit s'était faite en plein et la fraicheur se faisait sentir. Alors avec la nuit commença le terrible concert. Les uns qui criaient d'un côté les autres de l'autre. J'en avais un à côté de moi un allemand qui criait à vous faire fendre l'âme et d'un autre côté se trouvait un soldat français qui agonisait dans d'atroces souffrances. Il ne faisait que gémir en se tortillant comme un serpent. Tout cela était horrible à voir et horrible à entendre. Mais où alors les cris et les plaintes se firent plus forts ce fut vers les 11 heures quand on commença à charger les blessés sur des voitures pour les transporter dans un village. Alors là tous nous voulions passer les premiers. C'était quelque chose de navrant à entendre ces plaintes dans la forêt au milieu de la nuit. Malheureusement comme nous étions chez les allemands c'étaient leurs blessés à eux qui étaient transportés les premiers et cela n'allait pas bien vite car le village était à au moins 2 heures de chemin.

Quant à moi j'attendais que mon tour arrive sans trop me plaindre. Il faut dire aussi que je pouvais bien supporter la douleur pas bien forte que me causait ma blessure. Seulement comme je n'avais pas de capote l'ayant laissée là où j'avais été blessé, étant seulement en veste j'étais tout transi de froid. Mais je tachais de le faire comprendre aux soldats qui transportaient les blessés, qui s'empressèrent de me couvrir avec ce qu'ils trouvaient sous la main, manteau à eux, toile de tente.

Enfin suffisamment pour me protéger du froid et j'en fus heureux car je fus transporté des derniers. Ce qui fit que restant jusqu'à la fin d'entendre crier les autres et de voir que toujours on enlevait ceux qui étaient à côté de moi et jamais ce n'était mon tour ; cela finit par m'énerver et je me mis à crier comme les autres de venir me chercher. Mais malheureusement pour me transporter avec quelques camarades blessés, la même chose que moi, il nous fallait une charrette exprès. On ne pouvait nous mettre dans des voitures ambulantes car comme il fallait nous transporter allongés, à 6 que nous étions nous aurions tenus toute la voiture. Alors il fallut attendre qu'on alla au village réquisitionner une charrette ou voiture tout à fait plate qui arrivé vers les 3 heures du matin. Après avoir mis un peu de paille dessus, on nous coucha sur la charrette et c'est avec beaucoup de satisfaction que je vis que notre tour était enfin arrivé.

Mais quand la charrette se mit en marche alors ce fut un mauvais moment à passer. Les cahotements de la charrette nous causaient des douleurs qui nous faisaient tous crier. Enfin, tant que dura le trajet ce ne fut que cris et plaintes que nous poussions tout le long de la route.

Enfin nous arrivons au village et on nous transporta dans une cour qui était déjà bondée de blessés couchés sur la paille. Mais pour le  moment peu m'importait d'être couché en plein air ; il y avait toujours de la paille. Et l'esssentiel c'était d'être arrivé et couché car j'en pouvais plus.

Enfin le jour du 21 août commença à se montrer et avec le jour arrivères des bonnes femmes et jeunes filles apportant du lait bien chaud ce qui me fit beaucoup plaisir moi qui mourrait de faim. J'appelais une de ces jeunes filles qui s'empressa de venir à moi et me fit avaler un bon bol de lait qui me remit un peu d'aplomb. Puis alors ce fut des soldats français de la croix rouge qui avaient été fait prisonniers la veille. Enfin j'oubliais de dire qu'on nous avait transportés à Bidestroff enlevé la veille aux français par les prussiens. Cela fait que les blessés et les infirmiers français de la croix rouge avaient été faits prisonniers.

Donc je disais qu'après les femmes ce furent les soldats qui apportaient du bouillon. De suite je me relevais sur le coude et j'appelais pour qu'on m'apporte du bouillon. Mais juge un peu de ma surprise en mêmetemps de ma joie quand je m'entends appeler en patois de mon pays et qu'aussitôt j'ai devant moi Lombart avec mon cousin Buffet qui faisaient partie de la croix rouge et étaient aussi prisonniers. Tout de suite ils m'apportèrent du bouillon à volonté. Ils m'apportèrent aussi du pain et de la viande que je ne pus manger mon estomac ne pouvant le supporter. Enfin j'étai tout de même content de retrouver des pays un moment.

Enfin lendemain samedi 22 août arriva. Les deux pays vinrent me voir m'apportant du lait puis du bouillon. Ensuite vint à passer un Lieutenant Médecin Major qui me demandé si je tenais à écrire chez moi et lui ayant répondu que cela me ferait beaucoup plaisir il fut assez gentil pour écrire lui même, ensuite il me fit signer.

Dans l'après-midi on commença le transport des blessés à la gare et demandant si cela viendrait bientôt à moi on me répondit que ce serait pour le lendemain. Cela ne me fit pas beaucoup plaisir. Mais je ne pouvais faire autrement que d'attendre le lendemain.

Le restant de la journée se passa sans autre incident ; je ne souffrais pas trop de ma blessure mais je ne pouvais plus me tenir sur le dos et cela m'embêtait et me faisit bien souffrir. Enfin la nuit arriva et passa à peu près comme les autres sans fermer l'oeil bien entendu. Entendant des plaintes d'un côté des gémissements d'un autre. De temps à autre on entendait aussi le râle de quelques soldats dans l'agonie mais à tout cela personne ne faisait attention.

Sans doute qu'en tombant sur le matin je dus m'endormir un peu, car tout à coup je fus réveillé par le chant des femmes qui chantaient dans l'église. Comme c'était en effet dimanche 23 août on célébrait la messe quand même au milieu des blessés ; et franchement, ce fut un joli réveil pour moi ; en entendant ces jolies voix chantant en français un cantique que je connaissais déjà (ô Marie, ô Mère chérie) et qui était très bien chanté. Un moment donné je croyais rêver tellement cela me faisait être dans un sentiment de bien-être qui ne m'était pas arrivé encore de me trouver un peu bien."

         A suivre...........

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