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Sur les traces des "Midis" du XVe Corps - guerre 1914-1918
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24 août 2014

Edouard BARUTHEL, 40e RI-2/4 notes de campagne

Ce récit appartient aux descendants d'Edouard Baruthel et ne peut être utlisé sans leur autorisation

Baruthel_servicemilitaire___Copie

 

suite-2

" ...
Alors on a décidé de ne pas avancer davantage, de se coucher afin de disparaitre aux yeux de l'ennemi et d'attendre que la nuit arrive pour prendre des positions de combat au cas où l'infanterie ennemie pousserait en avant dans la nuit.

Mais malgré que l'ennemi ne nous voyait plus, il n'a pas cessé de tirer pour cela et il ne se tompait pas de beaucoup. Car les Chapnels(1) ,éclataient toujours sur nous. Et comme je le dis plus haut ce n'est qu'à la nuit qu'ils nous ont laissé un peu respirer. Là nous avons pris nos dispositions de combat.  3 compagnies qui ont resté en plein champ ont creusé des tranchées et nous la 9è compagnie nous avons pris position à la lisière d'un bois et nous avons passé la nuit assis ou couchés mais ne dormant pas car d'un moment à l'autre on pouvait être attaqués.

Tout à coup vers les 11 heures de la nuit nous entendons une vive fusillade du côté du village de Biderstroff(2), ; cela a bien duré 2 heures ; ensuite nous entendons un assaut à la bayonnette. C'étaient les allemands qui s'étant renforcés étaient venus dans la nuit reprendre le village qu'ils avaient perdu le matin et en même temps ils faisaient prisonniers tous les blessés qui se trouvaient là ainsi que le médecin et les infirmiers français. 

bombardement_denuit

 

 Quant à nous, en entendant l'attaque du village nous nous attendions à notre tour à être bientôt attaqués. Mais il n'en fut rien de tout cela. Pour nous la nuit se passa très paisiblement. Et ce fut avec un grand plaisir que nous vîmes poindre le jour du 20 août, jour mémorable pour moi, jour que je n'oublierai jamais.

Comme je disais, le jour se faisant, cela nous faisait beaucoup plaisir, car en temps de guerre les nuits sont les cauchemars des soldats et il n'y a pas un homme qui, après avoir passé la nuit dans des moments comme cela, nuits qui paraissent interminables, il n'y a pas d'homme, dis-je, qui ne voit apparaître le jour avec un grand plaisir. En ce moment il en était de même pour nous.  Seulement si nous avions grand plaisir à vous le jour nous pensions aussi qu'avec le jour il pourrait très bien se faire que l'ennemi commence à nous attaquer. Car sachant par ses aéroplanes le peu d'hommes que nous étions, nous pensions bien qu'il n'attendrait pas qu'il nous arrive du renfort avant de nous attaquer.

Il savait bien que nous étions là à peine une division (19 000 hommes) fatigués de 8 jours de marche en avant en première ligne, que nous attendions le 20e corps d'armée qui avait un jour de retard, qui devait nous remplacer.

L'ennemi était trop bien renseigné sur ce point pour tarder à nous attaquer. C'est ce qu'il fit. Il était à peine 6 heures du matin lorsque les mitrailleuses et l'artillerie ennemies a commencé la danse. Et l'infanterie couverte par les feux d'artillerie a commencé sa marche en avant. Alors là nous autres nous avons rentré en danse. Nous avons commencé à tirer à 1100 mètres sur les mitrailleuses ennemies qu'on voyait à peine. Mais désespérant de ne pas faire grand-chose nous avons cessé le feu afin de ménager nos munitions ; enfin un moment après nous avons vu où les prussiens se trouvaient à 30 mètres de nous, nous faisant un feu terrible ; moi de les voir si près et je n'étais pas seul je n'ai plus un sentiment. De moi-même je me suis mis debout pour pouvoir tirer plus vite ; alors je n'entendais plus rien. Je ne voyais plus autre chose que les allemands à 30 pas de nous qui avançaient toujours par petits bonds, de 8 mètres le plus. C'était plus fort que moi de voir qu'ils avançaient toujours il me semblait que moi seul j'allais les arrêter. Et malgré qu'ils avançaient toujours aucune idée de reculer ne nous était venue. Et surement que nous nous serions fait tuer sur place en cherchant toujours à les arrêter, si pendant ce temps il n'était pas survenu autre chose.

 

plandebataille___Copie

détail du combat de Dieuze

 

Pendant que nous défendions la lisière du bois, position assez importante que nous voulions pas lacher à l'ennemi, les autres régiments français moins bien placés que nous n'avaient pas résisté au choc terrible des allemands (ils avançaient avec plus de 30 000 hommes de troupes fraiches et nous étions à peine 13 000 de troupes fatiguées par 8 jour de marche en avant).
Il était impossible de résister et nous étions obligés de reculer. Seulement nous n'avons pas reculé tous ensemble. Les autres régiments français ont reculé trop vite, sans doute par force de même que les 3 autres compagnies faisant partie de notre 3ème bataillon qui étaient dans les champs.

Alors cela fait que nous la 9ème Cie qui avons tenu le coup plus que les autres, nous avons été séparés des troupes françaises par les troupes prussiennes. Et ce qui nous en a fait aviser est ce qui est survenu quand nous étions tous le restant de la 9eme Cie avec une idée fixe arrêter les ennemis qui s'avançaient sur nous. Cela est survenu un peu tard mais toujours à temps pour en sauver quelques uns d'une mort certaine, car personne n'avait idée de fuir et on se serait fait tuer sur place. Seulement comme je dis déjà ayant été séparés sans le savoir des troupes françaises par les allemands qui se trouvaient au milieu.

L'ennemi avait pris possession du bois dont nous occupions la lisière du bois côté sud en rentrant d'un autre côté. Cela fait que parcourant le bois, ils nous ont aperçus, que nous leur tournions le dos, faisant face à l'ennemi qui avançait toujours au devant de nous. Et nous ont fait feu par derrière. En voyant cela que nous étions pris entre deux feux cela nous a fait de suite revenir à nous même,  surtout qu'en nous tirant par derrière ils nous en avaient couché une dizaine par terre et qu'en nous regardant tous pour nous demander ce que cela voulait dire, nous nous sommes vus que 8 hommes, l'adjudant faisait 9. Il y avait 6 hommes de la 3ème section y compris l'adjudant qui la commandait et nous restions 8 hommes de la 2ème section. Maintenant je ne sais pas si toute la Cie y a passé ou si les autres ont décampé avant nous. C'est le tout qu'il y avait pas mal de camarades de tués qu'on voyait là à côté de nous allongés. Les blessés ayant été ramassés. Et nous étions que 9 contre peut être 800 prussiens qui avançaient et peut être 50 qui nous tiraient dans le dos.

Alors, comme on peut penser, cela nous a donné à tous notre sang froid et nous n'avons pas hésité un long moment pour nous tirer de là, l'adjudant en tête. Nous nous sommes lancés dans le bois du côté où il nous semblait qu'il y avait personne et nous courrions au hasard pour rejoindre les troupes françaises qui avaient déjà reculé de 7 à 8 km. Et ce qui nous rendait cela tout à fait impossible c'est que nous en étions séparés par les troupes ennemies et qu'à 9 que nous étions nous espérions pas traverser un corps d'armée.
Seulement tout cela nous ne le savions pas et nous courrions toujours dans les bois espérant toujours arriver à nous rallier avec les troupes françaises.
 

Cette course durait à peu près il y avait déjà 3/4 d'heure, ayant manqué plusieurs fois de nous faire tirer, car pendant que nous courions dans le bois, les prussiens occupant le bois ne faisaient que nous tirer dessus. Et cela durant encore longtemps. Il y avait de chance de ne pas sortir saint et sauf du bois que c'était à peu près la même chose, car surement que si on sortait du bois, si on arrivait, on tomberait entre les mains des allemands.

attaquedenuit

Notre position était on ne peut plus critique. Nous étions 9 hommes mort. Et pour moi cela ne se fit pas attendre.

En courant au travers du bois nous tombons sur un petit pré d'environ 100 mètres de large qu'il nous fallait traverser. Et ce n'était pas bien commode car ce pré était tout à fait découvert en le traversant. Nous allions nous faire voir par l'ennemi qui ne devait pas bien être loin et nous allions nous faire tirer dessus.

Mais comment faire, nous ne pouvions passé autre part que par là. Enfin, après un moment d'hésitation, nous nous décidons. Nous voilà traversant le pré au pas de course sous une grêle de balles qu'on nous envoyait peut-être de 30 mètres, mais il faut croire que les allemands ne sont pas bien forts pour le tir car aucun de nous n'a été touché en traversant le pré. Il n'y a que moi qui, comme nous arrivons de l'autre côté que nous allions de nouveau rentrer sous bois. Pour y être plutôt je m'efforce davantage que je fais un bond qui me fait passer devant les autres dans le bois.

Mais comme je passe juste le premier, je sens une secousse à la jambe qui me fait allonger par terre. Croyant que c'était un camarade qui,  sans le vouloir, m'avait donné un coup de pied, je me relevais en l'injuriant, mis je fus pas peu surpris en me mettant debout de voir que j'avais une jambe qui ne pouvait plus me porter. En y jetant de suite les yeux dessus, je m'aperçus que j'étais blessé d'une balle qui m'avait traversé la jambe car le sang coulait de deux trous de la grosseur du doigt. Mais encore je ne croyais pas à la gravité de ma blessure ; je croyais que la jambe était traversée mais que l'os avait été épargné et que sur le moment, il me semblait que j'avais la jambe cassée mais que dans quelques instants je pourrais remuer ma jambe. Mais cela ne fut pas ainsi.

 

blesse_de_guerre2___Copie

Après avoir attendu un moment j'essayai de remuer ma jambe mais je n'y parvins pas, alors là je compris que l'os avait été touché. Comme alors il me devenait impossible de pouvoir marcher pour rejoindre une ambulance quelconque, je me trainais surle bord du pré afin d'être davantage à vue pour me ramasser. Car où j'avais tombé dans un fossé assez profond recouvert par de longues herbes il aurait été impossible de me trouver là.

La peine que j'ai eue et la souffrance que j'ai enduré pendant 1/4 d'heure que j'ai mis pour remonter le fossé et faire deux mètres pour être  dans le pré. Je ne peux expliquer que j'ai souffert mais une fois dans le pré j'ai été tout de même content car là on pouvait me voir très bien.

Comme j'avais dépensé beaucoup de force pour en arriver là, je bus une bonne gorgée de rhum, mais alors du bon que nous avions acheté 1/2 litre à deux, il y avait deux jours à Marsal. Cela me donné un peu de courage, alors je voulus voir ma blessure. Je déroulais ma molletière et quand je relevais mon pantalon regardant ma blessure, je manquais m'évanouir tellement la blessure était affreuse à voir. Pas étonnant que je ne puisse pas regarder ma jambe.

Par où la balle avait rentré même au dessus du mollet il y avait un trou presque de rien du tout. Mais par où elle était ressortie, c'était horrible à voir, il y avait un trou sans exagéré comme une pièce de cent sous peut être plus. Que la chair était relevée sur les côtés et en regardant dans l'intérieur de la jambe on apercevait l'os qui manquait à peu près sur 2 centimètres au moins et ces débris d'os ayant été projetés avec une telle force que suivant le même mouvement qu'elle, le tout m'avait mutilé la chair en me faisant une plaie plus grande qu'une pièce de cent sous.

Voilà ce que je pensais de ma blessure en la regardant. Je comptais ma jambe bel et bien perdue car pour me guérir je me pensais qu'il faudrait me faire l'amputation. Et comme cela n'allait pas je résolus de me tuer. Cette résolution prise j'allume une cigarette, bois un coup de bon rhum et je me mis à penser. Alors je pensais à ma femme que je ne reverrai plus, à ma mère, à ma soeur enfin à tous mes parents que, sans doute, je ne reverrai plus ainsi qu'au pays et comme en pensant à tout cela je fus un peu ébranlé dans ma résolution de me tuer mais pas bien encore pour m'enlever tout à fait l'idée.

Alors pour ne plus penser à toutes ces choses je fumais des cigarettes et je bus plus d'un quart de rhum sans m'arrêter. Cela me saoula un peu. Cela fait que je ne ressentais presque plus de douleur et je ne comprends pas comment cela se fit ; alors j'étais tellement enragé de vivre, que de peur que personne ne vint à passer par là, je me mis à crier de toutes mes forces pour attirer l'attention de ceux qui pouvaient être par là. Mais quand même en criant comme cela, j'en conviens que je n'avais pas toute ma tête à moi. Car je me rappelle avoir crié mais pas comme le pouvait mon estomac d'après la fatigue je j'y ressentais, quand longtemps après j'eus l'esprit plus lucide.

Alors là ayant la tête bien libre, bien à moi, et comme nous arrivions sur le soir il était à peu près 5 heures, je fis encore la résolution que on me ramassait pas avant la nuit, plutôt que de passer la nuit come cela abandonné dans ce bois sans aucune chance d'être ramassé, j'étais encore résolu, dis-je, de me faire sauter le caisson et cette fois ci j'étais ferme dans ma résolution.

Cette résolution prise j'allumais encore une cigarette et je pensais aux évènements de cette terrible journée ou l'on ne peut dire autrement : on nous avait conduit à l'abattoir, c'était une boucherie. Et tout cela c'était le 20e corpsd'armée qui en était la cause par son retard. S'il était arrivé comme on croyait, peut être qu'étant à force égale nous aurions pas été obligés de battre en retraite en laissant beaucoup  de morts et de blessés sur le terrain. Malheureusement nous étions trois fois inférieurs en nombre et même à moitié morts de fatigue. Et si on a tant résisté à l'attaque des Prussiens si on s'est fait pour ainsi dire massacré avant de reculer, c'est qu'on espérait toujours à l'arrivée de renforts signalés depuis la veille, qui n'arrivait jamais et qui n'est pas arrivé. Ensuite je pensais à ma compagnie de la façon que nous nous étions battus. Je suis bien certain que ma Cie, la 9ème, nous avons fait un mal terrible à l'ennemi, plus que les autres troupes. Je parle selon ce que j'ai fait moi et je pense ainsi que mes camarades. Il est vrai que nous avions une belle position car nous avons eu le temps de nous écouler de toutes nos cartouches.

J'avais 13 paquets de cartouches sur moi, 4 par cartouche et 4 paquets dans mon sac. Total 16 paquets ou 128 cartouches. Sur 128 cartouches que j'ai tiré surement que je dois en avoir couché quelques uns et je le crois. J'admets qu'au début du combat, lorsque nous avons fait feu sur les mitrailleuses ennemies, j'ai tiré environ 30 ou 40 cartouches sans faire grand chose car on tirait à 1100 mètres. Mais quand nous avons exécuté nos feux sur l'infanterie commençant à 800 mètres je pense bien qu'avec 40 cartouches que j'ai tirées à 800 m le plus loin et 50 mètres le plus près je pense bien, dans un champ de tir si réduit, en avoir couché quelques uns surtout qu'ils s'avançaient par rang serrés comme une masse compacte. Et même sans viser l'homme, il n'y avait qu'à tirer dans le tas qu'on était sûr que le coup portait." 

                                                             à  suivre........ 

 Notes :
1) shrapnel
2) Bidestroff

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