de Jean-françois Burais

LE 6è B.C.A. à la bataille de la Marne (3)

Mercredi 9 septembre 1914

3h - attaque de Vassincourt par le 112ème et le 111ème par la droite. Contre-attaque allemande.

Mis en éveil, les Allemands accueillent par leurs feux les fractions de ce régiment qui débouchent sur le plateau. A ce moment ce régiment présente une vraie pagaille. Pas de liaison, un chef de bataillon nous dit que deux compagnies sont dans Vassincourt, ce qui est faux ; des fractions et des chefs cherchent à se dérober à leur mission, d'autres disent qu'on ne peut avancer parce qu'on leur tire dessus ; sonnerie du cessez-le-feu.

Le jour va arriver, quelques fractions se portent à l'assaut à 100 mètres des éléments de tranchées que les Allemands ont creusés pendant la nuit. Elles se débandent.

Le 111ème et le 112ème ne réussissent pas et se replient derrière la crête face à Vassincourt.

La 3ème compagnie en tête du bataillon ayant reçu l'ordre d'appuyer le mouvement, nous débouchons à notre tour, colonne par 8, sur le plateau. Les balles sifflent, des hommes tombent, nous enjambons morts et blessés.

Lâchés par le 111ème, nous restons seuls en première ligne, pris de face et de flanc par les mitrailleuses, une trentaine d'hommes dont le sergent-fourrier Coingt sont déjà tombés.

Recevons l'ordre de nous reporter à 150 m. en arrière, à l'abri d'un pli de terrain.

Le lieutenant Marc désigne le sergent-major Fontanille pour amorçer le mouvement et arrêter les hommes à l'endroit désigné. Le repli se fait homme par homme, à 30 pas, car à ce moment il fait grand jour. Ce mouvement s'effectue bien d'abord, pour se précipiter ensuite, mais pas sans pertes.

Au point de rassemblement, seuls 63 hommes sur 115 que la compagnie comptait le matin, sont présents. Pendant ce repli les balles sifflent et claquent si nombreuses qu'à chaque pas de course on entrevoit la mort.

Les autres unités du bataillon ont arrêté le recul du 111ème et baïonnette au canon l'ont ramené à la lisière du plateau. A notre gauche le 24ème n'a pas débouché du bois dans lequel il s'est engagé, malgré les demandes du chef de bataillon Lançon, commandant le 6ème.

Le 6ème est à droite, le 24ème à gauche en liaison avec la 30ème Division.

Une compagnie est prêtée comme soutien d'artillerie à une batterie du 19ème régiment d'artillerie (15ème Corps) et une batterie du 5ème Corps.

9h - le commandant du 6ème Chasseur obtient du général commandant la 57ème Brigade que cette batterie de 75 m/m (19ème régiment d'artillerie) vienne se placer sur la crête face à Vassincourt et tire à 550 mètres, battant de plein fouet les tranchées allemandes en avant du village.

Nos chasseurs aident les pourvoyeurs. Une autre batterie, placée un peu en arrière fait du tir trop rasant, tue deux hommes de la section Fontanille, et en blesse plusieurs. Nous faisons signe à cette batterie, qui a vu et arrête son tir.

Décidément, ils n'ont pas de chance à la 3ème compagnie avec notre artillerie. Le capitaine Creutzer observe le tir de l'artillerie et le conduit à l'aide du téléphone du 6ème. Il accomplit sa mission d'observateur d'une façon peu ordinaire. Voilà que j'appelle la liaison des armes, mais pour qu'elle réalise, il faut que les artilleurs n'aient pas trop peur de notre fréquentation... et des dangers qui en résultent.

C'est curieux comme ils aiment les obus et détestent les balles ! ...

Cette batterie tirant toute la journée ne subit aucune perte.

Dans l'après midi, d'autres tranchées très fortement garnies sont découvertes au sud-ouest du village. Le capitaine Creutzer nous demande d'installer nos mitrailleuses. Nous en installons une dans un cerisier, le télémetreur détermine avec soin la distance de tir. Sans se presser, nos tireurs pointent et sur ordre ouvent le feu. Les deux instruments de mort déclenchent une rafale à tir rapide, environ 600 coups minute. Le spectacle est horrible. La mort fait son oeuvre. Les balles entrent dans la tranchée par un côté et la suivent sur toute sa longueur, empêchant tout occupant d'en sortir. Je vois encore un officier, debout sur le parapet, les bras grands ouverts et s'érigeant comme une croix en plein ciel, tomber, figé dans cette position, face contre terre.

Pendant ce temps, le 75 continue son oeuvre. J'aperçois une rafale de quatre éclatements qui tombe exactement dans une tranchée allemande. Le résultat, je n'en sais rien, mais je vis sauter en l'air des bras, des jambes mélangés à des équipements, et le tout noyé dans la fumée qui monte de la tranchée.

L'ennemi est obligé d'évacuer la position, laissant des quantités de cadavres qui témoignent de ses pertes.

15h - une contre-attaque allemande dirigée sur la crête de Vassincourt,  accueillie à coups de canon et de mitrailleuses est immédiatement arrêtée.

Nous passons sur place le reste de la journée et la nuit. Le tir des Allemands semble faiblir, sauf celui de leur artillerie qui pourtant semble venir de plus loin. Vassincourt flambe.

Le soir tombe. Les nuages se sont amoncelés au-dessus du champ de bataille. La pluie se met à tomber. La nuit est maintenant complètement venue. Nous attendons toujours la contre-attaque allemande. L'ensemble du bataillon est regroupé afin d'être prêts à recevoir l'ennemi. Aucune ligne de tirailleurs ne nous précède. De la sorte, nous ne perdrons pas de temps lorsque l'ennemi s'avancera. Nous avons mis baïonnette au canon et nous sommes debouts, enveloppés dans nos grands manteaux bleus. Nous devons ressembler à des spectres glacés. La pluie tombe toujours, déprimante. Nous avons les yeux dilatés, le regard fixé dans l'obscurité. Un troupeau de mouton errant devant nous semble déceler un mouvement ennemi. Dans la nuit, comme un écho funèbre, retentissent, du  côté de l'adversaire, des appels désespérés. Ce sont les blessés des tranchées allemandes qui réclament le secours de leurs frères d'armes.

A minuit, nous les entendons distinctement, ils nous appellent "franzosen ! franzosen !"

De temps à autre, un camarade vient me trouver et nous nous posons la question de savoir quand ils vont attaquer.

Au coeur de la nuit, nous voyons surgir un fantôme. Après 36 heures passées en terrain ennemi, Cabannes après avoir fait le mort, a réussi à traverser les lignes et à rejoindre le bataillon.

Jeudi 10 septembre 1914

Le bataillon se maintient sur ses positions en dépit des nombreux retours offensifs de l'ennemi autour du village qui, chaque fois, sont repoussés avec des pertes sanglantes.

Dans la soirée, pressé de toutes parts, menacé d'enveloppement, il entame un mouvement de retraite.

Il pleut, je me réveille roulé dans mon manteau avec quatre doigts d'eau sous les reins. Les Allemands ont mis le feu à Vassincourt, tout flambe. De hautes colonnes de feu et de fumée montent vers le ciel et éclairent sinistrement la nuit.

(à suivre)